Ni plantations ni esclaves acheminés d’Afrique lors des traites négrières dans l’île de Saint-Barthélemy…
On ne sait pas quand au juste tout cela à commencé ? Quand s’est-on mis, dans la presse française, à réécrire a contrario l’histoire esclavagiste et négrière de Saint-Barthélemy ?
En septembre 1932 ? Dans cet article d’Odette Arnaud : « Une île morte : Chez les Normands de Saint-Barthélemy » publié dans Le Miroir du Monde par la Société du Petit Parisien ? Extrait : « Les cloches sonnent dans la tour suédoise qui appelait les esclaves noirs aux travaux du coton et de la canne à sucre »… Non, manifestement.
Plus tard ? En novembre 1950 ? Par Jacques Soubrier : « Saint-Barthelemy dans la mer des Antilles où tout le monde se marie entre cousins réclame un dentiste, un juge et un évêque » dans L’Aurore, toujours publié à Paris ? Toujours pas…
En novembre 1965 alors ? Oui, nous y sommes : « Il faut savoir que Saint-Barthélemy, perdue dans le monde Caraïbe, est restée depuis le XVIIe siècle cent pour cent « blanche ». (…) ses collines ne se sont jamais prêtées aux plantations de canne à sucre ou de bananes. », par Frédéric Mégret dans un article intitulé « Saint-Barthélemy : paradis oublié des Antilles » publié dans Le Figaro.
Quoiqu’il en soit, on ne compte plus aujourd’hui ces articles refaisant l’histoire, et pas plus tard que dimanche dernier, dans le bien nommé Le Journal du Dimanche: « Ni plantations ni esclaves acheminés d’Afrique lors des traites négrières, Saint-Barth a été peuplée, à partir du XVIIe siècle, par des Normands, des Bretons ou des Vendéens dont les descendants à la tignasse blonde composent la moitié de la population actuelle, de 8.450 habitants. », par Mathilde Giard. Certes, il ne s’agit là que de la rubrique « Style de vie » du « JDD » et Saint-Barthélemy n’est pas tout à fait Saint-Domingue, mais tout de même… d’autant plus qu’il s’avère que la journaliste est aussi l’auteure, en 2007, d’un ouvrage intitulé : « L’esclavage de L’Antiquité à nos jours » à destination de la jeunesse ! Il y a urgence…
La future esclave Angélique arrivée à Gustavia à bord du négrier « Stockholm » armé à Saint-Barthélemy à destination des « Côtes de Guinée »
Peut-être le tout premier navire négrier armé directement à Saint-Barthélemy à destination des « Côtes de Guinée », le « brig Stockholm » fera son retour dans le port suédois de Gustavia en 1799. Nous le prendrons en exemple ici car il est à ce jour, et c’est à n’en point douter un fait très rare dans l’historiographie de la traite négrière transatlantique dans son ensemble, le seul voyage de traite concernant Saint-Barthélemy pour lequel un captif, en l’occurrence une captive, renommée Angélique, future esclave, a pu être « identifié ».
La « Lettre de Mer » a été délivrée le 13 août 1798 à la demande d’un dénommé Gustave Wernberg, initialement agent à Saint-Barthélemy de la Swedish West Indian Company qui a le privilège du commerce dans l’île suédoise, et qui travaille depuis pour la maison Röhl & Hansen [« Who was who in St Bartholomew during the Swedish epoch ? Qui était qui à St-Barthélemy à l'époque suédoise ? », Per Tingbrand, Swedish St. Barthélemy Society, Stockholm, 2001]. Le 1er juillet 1799, l’équipage composé des capitaines Peter John Hassel et Adam Bird, du subrécargue Laurent Paschal, du charpentier Anders Öberg et du marin Anders Åkerman, dépose une déclaration à Gustavia devant le Juge et Notaire Public de Saint-Barthélemy, Andrew Bergstedt : le navire a quitté Saint-Barthélemy le 3 novembre 1798 pour l’Afrique sous le commandement de Ferdinand Deurer. Le navire arriva le 1er janvier 1799 dans un endroit du nom de « Galina » (sic) puis à Cape Coast (dans l’actuel Ghana) le 15 janvier; à cet endroit, le 24 mars, le capitaine Deurer succomba à une grippe de 20 jours et de même le second George Helgendorff le 27, après 7 jours de maladie. Peter John Hassel fut alors obligé de débarquer le lieutenant Cunningham pour mauvais comportement et mutinerie. D’après leurs instructions, le capitaine Peter John Hassel et le subrécargue Laurent Paschal prirent le commandement du navire et de sa cargaison pour faire du mieux qu’ils pouvaient pour le bénéfice de leurs propriétaires. Ils reçurent ordre d’en donner le commandement au capitaine Adam Bird pour les conduire aux Antilles. Le navire était alors chargé de douze onces et deux acquêts d’or, de marchandises sèches et de cinquante sept esclaves « de toute sorte vieux ou jeune ». L’accord conclu avec le capitaine Adam Bird était la prise en charge du navire pour cent pounds sterling payables à Saint-Barthélemy. Le 5 juin ils perdirent (? original illisible) femmes esclaves et le 9 juin un homme esclave après maladie. Ils arrivèrent le 1er juillet 1799 dans le port de Gustavia.
Source Archives : Fonds du Tribunal de commerce et des prises de Basse-Terre [sous série 2L - n° 206 / Actes Notariels 1797 à 1802.] / Archives Départementales de Guadeloupe (Bisdary – Gourbeyre).
C’est en novembre 1825 qu’Angélique fait son apparition dans les archives suédoises de Saint-Barthélemy, dans un « très humble rapport » du gouverneur Johan Norderling au Roi de Suède, ainsi que 5 autres esclaves appartenant à Mme Jane Wallace, concubine de Mr Jean Jacques Vaucrosson, elle fait l’objet d’une saisie par les autorités anglaises de St Kitts; elle est décrite comme « Africaine achetée ici [Saint-Barthélemy] dans l’année 1799 ou 1800 de la cargaison du brig Suédois Stockholm, Captn Ferdinand Deurer – Elle a été envoyée à différentes périodes par Jane Wallace à sa mère à St Kitts, régulièrement pourvue de passeports, en partie pour le bénéfice de sa santé, ayant été très malade ici, et un changement d’air ayant été fortement recommandé par le docteur Paris, en partie pour se servir de l’habileté de sa mère dans des soins simples et domestiques; étant sujette à différents maux – après être restée là quelque temps elle revint ici sans avoir jamais remis les pieds sur sol Anglais et Angélique fut vendue il y a 7 ans à un Mr Brown de cette île, qui l’emmena avec lui en Floride ».
Source Archives : St Barthelemy Samlingen [SBS – vol n°9A] / Riksarkivet – Archives Nationales de Suède (Stockholm).
Viennent ensuite, un volume plus loin dans cette fameuse « Collection St Barthélemy » conservée en Suède, deux certificats quelque peu énigmatiques en date du 30 août 1826, correspondant à l’enregistrement d’un retour d’esclave à St Christophe (St Kitts) : par Jane Wallace pour « Angelique – Female – Black – African Minnah – Usual employment House Negro », 38 ans sur l’un, 34 ans sur l’autre… spécifiant néanmoins « absent from the Island on leave of the Owner » : absent de l’île sur congé du propriétaire.
À noter enfin, qu’à l’abolition de l’esclavage à Saint-Barthélemy, lors de la 13ème réunion du Comité d’Émancipation graduelle et d’Évaluation des Esclaves en date du 15 février 1847 Source Archives : Fonds suédois de St Barthelemy [ES – vol n°286] / Archives Nationales d’Outre-Mer (Aix-en-Provence), la 466ème esclave, nommée Angélique, âgée de 73 ans, appartenant à Mr John Brown mais décrite comme « Guadeloupe introduced here previously to 1831 (introduite de la Guadeloupe avant 1831) » est évaluée à 35 spanish dollars contre 34 demandés par le propriétaire, pour 4 dollars de contribution de l’esclave, « bonne conduite et caractère général – bonne santé, force et capacité au travail », et sera définitivement affranchie en septembre 1847 : perspectives de nouvelles recherches généalogiques ?
contact presse : transat@memoirestbarth.com