Retour sur le dossier Territoire consacré à Saint-Barthélemy dans le numéro de Juin 2010 du « Courrier du Parlement » : fantomatique mais très juteux…
Des prestataires prêts à se taire
Voilà une parution qui nous avait totalement échappée : « La Collectivité de Saint-Barthélemy – De nouveaux enjeux »… et pour cause, elle n’a pas été distribuée dans l’île, bien que des cartons entiers de ce magazine croupissent actuellement dans les locaux de la Chambre Économique Multiprofessionnelle locale ! Certes, ce « dossier Territoire » du « Courrier du Parlement » était avant tout destiné « aux parlementaires [et aux] ministères de façon à donner les clés de compréhension de notre collectivité » (Michel Magras, Le Journal de Saint-Barth n°819 du 19 mars 2009) mais c’est tout de même près d’une quarantaine d’entreprises locales, la plupart prestataires de la Collectivité, qui, sollicitées par les Sénateur et Président Magras, ont dépensé une somme globale qui doit avoisiner la bagatelle de 130.000 euros (environ 3 fois le budget transat MemoireStBarth.com 2010… au Nord au Centre au Sud 2012) en encarts publicitaires et autres publi-rédactionnels et ont donc ainsi manifestement (plus que) financé ce magazine… et à moins que le but inavoué de cette « vaste campagne de communication (…) [dont] l’enjeu [était] de préserver à long terme Saint-Barthélemy de décisions qui pourraient lui nuire, parce que prises par méconnaissance ou « mal-connaissance » » (Michel Magras, JSB n°819) n’ait été de faire emménager à Saint-Barthélemy nos chers députés et sénateurs les plus récalcitrants, et ainsi de communiquer à messieurs Brard, Dosière ou Frimat l’adresse de Pécard Architecture, Plasse Bâtiment ou Peinture Daviau pour la construction de leur future résidence : on en vient presque à regretter que l’attelage PMU qui est intervenu dernièrement dans Gustavia pour une campagne d’affichage « La République vous protège » sauvage et au combien maladroite, n’en ait pas profité pour opérer une petite distribution de ce magazine (12 € pièce en librairie) en remerciement aux gracieux annonceurs : ça aurait été là la moindre des choses que de gommer la petite frustration que quelques-uns d’entre-eux doivent peut-être encore ressentir ? Quoique « prestataires » rime fort bien avec « prêts à se taire ».
Le bon abbé Raynal
Et question de se taire, il y en a un qui a justement raté là une belle occasion; car dans la droite ligne du Sénateur Michel Magras (désormais connu de la postérité sous le pseudonyme « votre rapporteur » : 194 occurrences dans sa dernière synthèse touristique), à l’origine de cette opération séduction du « Courrier du Parlement » et qui répondait ainsi en mars 2009 au Journal de Saint Barth : « Objectivement, que pouvez-vous faire pour améliorer cette image [faussée de St Barth] ? » : « je [NDLR : votre rapporteur] veux d’abord souligner que notre image est surtout déformée auprès de ceux qui ne sont jamais venus sur l’île » (JSB n°819), voici donc venu en Juin 2010, comme télécommandé, le Directeur Général des Services de la Collectivité de Saint-Barthélemy, Mr Denis Gréaux, et que l’ont a manifestement envoyé au front faire le ménage sur l’épineuse question du métissage… point noir si l’en est. Et voilà le travail : « Pour connaître la réalité et avant d’en parler, il faut venir à Saint-Barthélemy et y vivre. Cette assertion est valable aussi pour l’histoire et l’économie de l’île. »; aha, mais alors en parfait contre-pied tout juste quelques lignes plus loin il vient : « il ne faut pas hésiter à se référer aux témoins de l’époque parmi lesquels l’Abbé Raynal qui écrivait que Saint-Barthélemy est “la seule des colonies européennes établies dans le nouveau monde, où les hommes libres daignent partager avec les esclaves les travaux de l’agriculture” »; sauf que, Guillaume-Thomas Raynal, tout comme le Père Labat d’ailleurs, n’a jamais mis un seul pied à Saint-Barthélemy ! Comme quoi il convient de toujours se méfier des journalistes, fussent-ils de la fin du 18ème siècle… et pour s’en convaincre il suffit de lire ses deux seuls écrits mentionnant Saint-Barthélemy où, à dix ans d’intervalle, l’île est tantôt « ingrate, mais rachète ce défaut par la commodité d’un port où des flottes nombreuses trouvent un sûr asile » (Raynal, 1770) et tantôt « même privée des commodités d’un bon port quoique tous les géographes l’aient félicité de cet avantage » (Raynal, 1780)… alors l’abbé ? Le Port de Gustavia : bon port ou mauvais port ? Même pour les motor-yachts ? Faudrait-il donc désormais s’accommoder de tout endiguer ? Mais quelle valeur donner au juste à cette assertion “la seule des colonies européennes établies dans le nouveau monde, où les hommes libres daignent partager avec les esclaves les travaux de l’agriculture” ? Une citation combien de fois brandie comme pour s’indemniser ? Ou pour se dédouaner… par complexe du Port Franc ? Comme en son temps le fameux traité de rétrocession franco-suédois, étendard du « contre tout impôt »; mais toujours pas de convention fiscale…
À la Campagne comme à la Ville
Au delà du pied de pilote de nez de notre abbé, c’est en fait le paragraphe tout entier page 18 de ce dossier du « Courrier du Parlement » qui met mal à l’aise :
« Une Population aux composantes variées.
En étudiant la population de Saint-Barthélemy – peut-être devrait-on parler de peuplement – il est grand temps de lever un certain nombre de fausses interprétations de la réalité sur les caractéristiques ethniques de la population de l’île.
Pour connaître la réalité et avant d’en parler, il faut venir à Saint-Barthélemy et y vivre. Cette assertion est valable aussi pour l’histoire et l’économie de l’île. Les descendants des premiers colons représentent un groupe dont les caractéristiques sont aujourd’hui très métissées, et le deviennent de plus en plus. C’est une réalité de laquelle seuls des observateurs de l’extérieur concluent voir sous leurs yeux une population blanche.
L’esclavage que Saint-Barthélemy a connu est un phénomène que l’on peut rattacher à l’expansion économique qui a concerné essentiellement Gustavia et ce, pendant la période suédoise. Bien évidemment, le reste de la campagne a aussi connu l’esclavage mais il ne faut pas hésiter à se référer aux témoins de l’époque parmi lesquels l’Abbé Raynal qui écrivait que Saint-Barthélemy est “la seule des colonies européennes établies dans le nouveau monde, où les hommes libres daignent partager avec les esclaves les travaux de l’agriculture”. Les uns et les autres étaient les mêmes travailleurs de la terre et ils étaient tous confrontés à la même réalité de subsistance face à l’âpreté du milieu. Il n’y avait pas de différence. Et aujourd’hui, nous ne faisons aucune différence. »
Car ce n’est certainement pas en se rendant à Saint-Barthélemy qu’on connaîtra mieux cette histoire, les archives nécessaires à sa bonne compréhension étant de plus dispersées hors de l’île et qui plus est pour partie inaccessibles du fait de leur mauvais état matériel; et on ne peut que déplorer le peu d’entrain mis par la Collectivité de Saint-Barthélemy pour la sauvegarde et la mise à disposition de ce patrimoine… Par ailleurs, pourquoi cette volonté palpable de rejeter l’histoire sur Gustavia la suédoise ? Alors même qu’à l’heure de l’abolition (suédoise) il y eût au final plus d’esclaves rachetés à des propriétaires à la Campagne qu’à la Ville Gustavia… Comment, enfin, et c’est le plus grave, peut-on écrire qu’ « il n’y avait pas de différence » alors que le « Code Noir » français puis suédois y avait force de loi comme ailleurs ? Tout ça en ne se basant que sur une petite phrase écrite par un chroniqueur qui n’est jamais venu à Saint-Barthélemy tandis qu’il existe de surcroît des kilomètres d’archives encore inexploitées, que la Collectivité de Saint-Barthélemy même néglige encore et toujours ?
Bref, Mr le Sénateur : rien ne sert de donner les clés si l’on n’explique pas où sont les serrures…